L’intelligence Artificielle remplacera-t-elle les médecins ?

L'Intelligence Artificielle ne cesse de gagner du terrain dans tous le domaines. Tour d'horizon.

par Jean-Philippe ( ingénieur) et Lucien ( médecin) pour le collectif Alertes Médecins

ecran IA salle Opération

   L'utilisation de l'IA dans la médecine se répartit principalement en deux catégories :

    • Les applications qui ont vocation à reproduire les activités humaines, plus rapidement et avec de meilleurs résultats     C’est le cas de l’analyse d’images (par exemple reconnaissance d’une tumeur sur une radiographie ou d’un mélanome sur une photographie de lésion cutanée). Ceci inclut l’analyse automatique de l’enregistrement des signaux, les chatbots (qui s’adaptent à la réponse du patient avec des recommandations personnalisées), ou l’aide à la décision et au diagnostic (meilleure détection des symptômes grâce à l’interprétation de données cliniques, de marqueurs biologiques, ou toute donnée utile : ECG, échantillons sanguins, etc.)
    • Les utilisations destinées à croiser de très nombreuses données pour réaliser des analyses qui sont inaccessibles à l'homme. C’est le cas du dépistage de pathologies par l’analyse du génome, associée à des données cliniques et des données environnementales et appuyée par le contrôle en continu de données de vie réelle issues de dispositifs médicaux intelligents ou d’objets connectés.

Mieux que les médecins ?

De nombreuses publications font état de résultats surprenants où l’IA fait mieux que les médecins : dans sa capacité à dépister le mélanome cutané, le cancer du sein par mammographie ou le cancer du poumon par scanner.

Le développement de la numérisation des images pourrait amener à penser que l’on pourra se passer de certains spécialistes, comme les anatomopathologistes ou les radiologues.

Ainsi Geoffrey Hinton 1, un des pères des réseaux neuronaux, a pu écrire « it’s quite obvious that we should stop training radiologists ».

Au fur et à mesure des progrès de l’intelligence artificielle, et grâce à des algorithmes chaque jour plus performants, on peut, comme Vinod Khosla 2, investisseur dans la Silicon Valley, prétendre que « les machines remplaceront 80 % des médecins dans le futur, dans un environnement dominé par des entrepreneurs et des professionnels non médicaux ».

Une telle affirmation ne tient pas compte de ce que sont les véritables enjeux de la médecine

La médecine est une démarche qui repose sur un diagnostic, pour déboucher sur une décision de traitement qui comporte une part de risque. Pour cela, le médecin intègre de nombreux signaux issus de l’observation directe, de l’écoute, de l’examen clinique, des circonstances d’apparition, de l’environnement de la personne. Pour résoudre ces problèmes complexes, il faut de l’intuition et un sens de l’observation qui intègre la prise en compte du psychisme des individus, qui reste encore aujourd’hui une véritable « boite noire » pour l’IA.  Cependant force est de reconnaitre que l'IA gagne chaque jour du terrain.

 

L'exemple emblématique de l’orthodontie

la fin des orthodontistes

La gouttière InvisAlign : la fin des orthodontistes


L’IA risque de remplacer des tâches de plus en plus qualifiées que l’on croyait inaccessible aux machines. Sur ce plan, l’évolution de l’orthodontie est révélatrice.

Le système de bagues et plaquettes nécessite de nombreuses étapes chronophages pour le dentiste: prise d’empreintes, diagnostic, pose de plaquettes, ajustement régulier des arcs et élastiques, retrait des plaquettes… Chaque orthodontiste a son tour de main et ses astuces, fruits d’années de pratique.

Avec l’arrivée des gouttières InvisAlign, tout cela vole en éclats. Le praticien se transforme en distributeur des produits conçus en Californie par l’IA. L’empreinte est prise électroniquement par l’assistante dentaire à partir de milliers de clichés réalisés par une sonde électronique qui passe devant les dents. Les données sont envoyées à InvisAlign en Californie qui fabrique une dizaine de gouttières astucieusement conçues pour déplacer les dents dans le meilleur ordre possible.

Le dentiste conserve la relation client et continuera à cultiver l’empathie. Mais 99% de sa valeur ajoutée s’est désormais envolée en Californie chez le fournisseur d’IA.

Ce qui est intéressant dans cet exemple est qu’en 2010, tous les prévisionnistes pensaient que l’orthodontie était un métier 100% non remplaçable par l’IA jusqu’à la fin des temps. C’est juste le contraire 5 ans plus tard. L’IA a bouleversé l’orthodontie en quelques années.


Les ambitions de Google

Ce processus risque de se généraliser à toute la médecine. Notre biologie est tellement complexe qu’aucun médecin ne pourra lutter contre l’IA. Les chirurgiens aussi risquent d’être remplacés par des robots.

En avril 2017, la filiale de santé de Google, Verily, a lancé une campagne de suivi de 10 000 volontaires équipés d’une batterie de capteurs et d’objets connectés (dans le matelas, prélèvement

de leurs sécrétions et décryptage régulier du génome) pour suivre à distance, durant 4 ans, l’évolution de leur état de santé. Le but était de déterminer les biomarqueurs pouvant indiquer les signes avant-coureurs des pathologies et d’identifier les facteurs de risque encore inconnus. Les données collectées sont d’une richesse et d’une fiabilité sans précédent, ce qui a permis de nourrir l’IA de données bien plus intéressantes que celles des études médicales publiées dans les revues.

Derrière, c’est le rôle des professionnels de santé qui sera remis en cause, même les disciplines les plus sophistiquées.

Les médecins ne gèrent aujourd’hui qu’une poignée de données par patient, ils devront s’adapter pour gérer des milliards de données par patient en 2030, à la suite à la génomique et aux nombreux capteurs électroniques qui vont bientôt monitorer notre santé (p.ex. montre connectée qui analysera notre sang, nos pulsations cardiaques, notre stress etc).

Ce seront en fait les leaders du numérique qui risquent de devenir les maîtres de la santé.

Google en position dominante



Au point de départ, n’oublions pas qu’Alphabet/Google détient indirectement près de 85% des smartphones dans le monde grâce à son système d’exploitation Android. Le marché de la santé est évalué à plus de 10 000 milliards de dollars par an en 2017 (selon Freedonia Group), et Google, par sa position dominante dans le numérique, compte bien en tirer profit. A lui tout seul, Google peut orienter la médecine du futur.

La médecine est en passe de devenir une véritable science de l’information où la collecte et l’analyse de gigantesques quantités de données par des IA deviennent stratégiques.

Depuis plusieurs années, Google investit massivement le secteur de la santé, au point d’avoir créé deux filiales dans ce domaine: Verily et Calico.


Verily : l'approche prédictive


Lentille Verily

Verily, la lentille connectée

Verily veut utiliser la technologie pour passer d’une approche réactive de la médecine à une approche proactive et prédictive, permettant à terme de proposer des traitements individualisés basés sur une analyse complexe de données biologiques, génétiques, comportementales et environnementales. Verily cible particulièrement :                                                                          Le diabète est sa priorité. Elle a déjà signé 3 partenariats dans ce domaine avec Sanofi, Dexcom et Novartis avec qui elle développe depuis 2014 les fameuses lentilles de contact connectées permettant, entre autres, de mesurer le taux de glucose dans les larmes des patients. D’autres brevets ont récemment été déposés par Google pour un dispositif d’analyse de sang sans aiguille associé à une smart watch.  Les données seraient récoltées par une immense base de données dotée d’IA qui pourrait anticiper la déclaration d’une maladie.

Les maladies cardio-vasculaires et la psychiatrie. Des chercheurs de Google et de sa filiale Verily ont conçu un algorithme capable de prévoir le risque d'affections cardiaques sur base du scannage de la rétine d'un individu.

  • La sclérose en plaques en s’associant avec la société de biotechnologie Biogen, experte dans ce domaine.
  • Les nano-diagnostiques travaillent sur la création de minuscules nanoparticules magnétiques à avaler qui pourront d’ici plusieurs années détecter le cancer ou d’autres maladies dans le corps humain.
  • DNABaseline vise à collecter les informations ADN de milliers de personnes (volontaires) afin de déterminer le profil type d’un patient en bonne santé, et récolter les marqueurs à risque, pouvant déclencher des maladies mortelles et donc permettre de les anticiper.
  • Verb Surgicalspécialisée dans la chirurgie robotique en partenariat avec le laboratoire Johnson & Johnson. Les robots associés à des IA sont capables de prendre en charge des opérations chirurgicales délicates et de détecter des paramètres invisibles.
  • Calico : le mirage transhumaniste


    Calico

    Calico se concentre uniquement sur la lutte contre le vieillissement avec pour ambition de repousser les limites de la longévité et un jour peut-être « Tuer la mort ».

    L’immortalité, ou en tout cas le transhumanisme est un concept largement défendu chez Google, le groupe investissant depuis plusieurs années dans des entreprises issues des biotechnologies, de l’informatique et des sciences cognitives (NBIC) et de la généalogie génétique comme AncestryDNA, 23andMe ou Foundation Medicine.

    Calico a annoncé de nombreux partenariats avec des universités, des associations et des laboratoires pharmaceutiques comme AbbVie sur les maladies neurodégénératives. L’un des partenariats noués avec AncestryDNA, une société américaine spécialisée dans la généalogie génétique qui commercialise des tests ADN, permet à Calico d’avoir accès aux données de ses utilisateurs pour analyser les liens entre génétique et longévité. Leur investissement commun pourrait atteindre 1,5 milliard de dollars, avec notamment la construction d’un centre de recherche dans la région de San Francisco.

    Google Fit  le coaching généralisé

    le coaching généralisé

      

     L’application Google Fit, trackeur d’activité fonctionnant sous Androïd – concurrente direct du Health Kit d’Apple – reste quant à elle dans le giron de l’entité Google.

    L’application Google Fit est basée sur le comptage de « points cardiaques » et d’un coaching spécialisé :


    « Atteignez vos objectifs de remise en forme grâce à un coaching personnalisé et à des conseils pratiques basés sur votre historique de santé et d'activité. Google Fit permet également de surveiller facilement vos progrès et de suivre votre activité directement depuis votre téléphone ou votre montre connectée. »

    L’application sera en mesure de collecter de plus en plus de données de santé du patient au fil de la sophistication technique des appareils.


    La menace des chatbots


    chatbot médecin

     


    Les chatbots (agents conversationnels virtuels) sont des interfaces intelligentes basées sur le texte ou la voix. Assistés par des IAs, ils deviennent de plus en plus intelligents et captent chaque jour davantage les connaissances des médecins.

     

    Les chatbots se sont multipliés et investissent petit à petit le secteur de la santé. Les opportunités pour ce type d’outils sont particulièrement importantes : aider au diagnostic, alléger les salles d’attentes, éviter les ré-hospitalisations, responsabiliser les patients sur leurs parcours de soins… Les chatbots en santé s’inscrivent aujourd’hui dans un environnement médical en souffrance : pénurie de médecins avec l’augmentation des déserts médicaux, l’accroissement du nombre de patients

    atteints de pathologies chroniques, une pandémie qui a mis en exergue les faiblesses du secteur

    hospitalier…

    Au fur et à mesure qu’une organisation de soins de santé va collecter des données, elle va pouvoir enrichir et entraîner le chatbot afin de proposer des informations toujours plus pertinentes au patient… qui pourrait bien consulter son médecin de moins en moins souvent.

    Babylon Health, service d’abonnement britannique, de consultation médicale et de santé en ligne, propose une consultation en IA basée sur les antécédents médicaux personnels et les connaissances médicales courantes, ainsi qu’une consultation vidéo en direct avec un vrai médecin chaque fois qu’un patient en a besoin.

    Si les chatbots santé ne sont pas encore aujourd’hui assez puissants pour remplacer les conseils des professionnels de santé, ils pourraient cependant recueillir des informations essentielles. En posant de simples questions, ils pourront établir un premier diagnostic et recommanderont si une visite médicale est nécessaire ou non.

    Il reste encore du chemin pour développer un chatbot capable de reproduire une véritable relation humaine. Mais demain les chabots deviendront-ils complètement indépendants ou le complément idéal au diagnostic et à la prise en charge médicale ?

    Conclusion provisoire

       Il ne faudrait donc pas que l’IA prenne le pas sur les médecins et en vienne à les remplacer, pour la sauvegarde d’une médecine humaine, à l’écoute, empathique.

    Nous avons vu pendant la pandémie du COVID les diktats d’une technocratie qui a imposé ses propres traitements (Remdesivir et vaccins) en ne laissant plus au médecin sa liberté de prescrire. Ceci s’est fait au nom d’un prétendu progrès scientifique qui en réalité recouvrait une régression à la fois de l’éthique médicale 3 mais aussi de la rigueur et du niveau de preuve exigés pour garantir l’efficacité et la sécurité des interventions. La menace pour le futur est donc bien réelle.

    Tout au contraire, les médecins doivent développer leur capacité à soigner et à guérir en tirant profit des techniques de l’IA.

    N’ayant pas de corps (donc pas d’empathie) ni de vie biologique, l’IA n’a pas pour l’instant la capacité à remplacer le médecin. En revanche, il est certain que l’IA se positionnera comme l’un des outils clefs dans la prise en charge médicale, ce qui fera évoluer le rôle du médecin.

    Elle apportera au médecin une aide au diagnostic et un gain de temps (et donc de productivité). Tout dépendra ensuite de l’utilisation de ce temps.

      • Le temps ainsi libéré pourra être consacré à renforcer les relations avec les équipes soignantes et avec les patients, de plus en plus traités de façon expéditive. Une machine ne peut pas faire ça.
      • Ou bien ce gain servira, pour des raisons économiques et politiques, à recevoir plus de patients, sans améliorer la qualité de prise en charge, voire en la dégradant.

    Pour nous, collectif d’usagers de la santé, la médecine devrait conserver sa dimension humaine. Le médecin que l’on attend est un praticien à l’écoute, empathique, qui inspire confiance. Le malade est un « être humain » dont la prise en charge doit prendre en compte autant le somatique que le psychologique dans toute sa complexité. Le malade ne se réduit pas simplement à une radiographie ou un organe, c’est avant tout une personne.

    La vraie menace qui se profile vient sans doute des chatbots, qui parlent, peuvent observer une lésion par webcam, faire un diagnostic. Sur ce plan, même s'ils ne remplaceront jamais l'empathie du médecin ils pourraient en revanche être largement aussi performants que lui pour le diagnostic en téléconsultation. 

    1. 1 Geoffrey Hinton est un chercheur canadien spécialiste de l'intelligence artificielle et plus particulièrement des réseaux de neurones artificiels. Il fait partie de l'équipe Google Brain et est professeur 1au département d'informatique de l'Université de Toronto. Il a été l'un des premiers à mettre en application l'algorithme de rétropropagation du gradient pour l'entraînement d'un réseau de neurones multi-couches. Il fait partie des figures de proue de la communauté de IA Deep Learning
    2. 2 Vinod Khosla (maîtrise en génie biomédical et Stanford Graduate School of Business, fondateur de Sun Microsystem) est un investisseur qui a fait sa réputation dans le capital-investissement. Parmi les plus influents de Silicon Valley, il est considéré comme l'un des meilleurs investisseurs en haute technologie.

    3 Le recueil et l'exploitation des données médicales posent des questions éthiques en termes de secret médical, de respect de la vie privée et de libertés individuelles. Cest un sujet à part qui demande beaucoup de développement. Nous comptons en faire une lettre dinformation prochainemen

       Annexe : Les dernières actualités dans le domaine de l’e-santé



    Vous pouvez consulter les publications de actuia.com

    Nous en avons listé ci-dessous quelques-unes, parmi les plus récentes, qui nous semblent pertinentes.



    EUCAIM), un projet révolutionnaire de déploiement d’infrastructure fédérée, visant à

    propulser l’imagerie et l’IA vers une médecine de précision pour les patients et citoyens des Etats membres atteints de cancer.

      • Les modèles de langage pré-entraînés font l’objet d’une attention croissante pour traiter

    l’abondance des données dans le domaine biomédical. Alors que la majorité des recherches actuelles utilisent des modèles BERT, Microsoft Research a décidé de s’appuyer sur GPT-2 et présente BioGPT, un modèle de langage Transformer génératif préformé pour la génération et l’exploration de texte biomédical. Ils ont obtenu une précision de 78,2% sur PubMedQA, un ensemble de données biomédicales sur la réponse aux questions recueillie à partir de résumés PubMed.

      • Owkin, start-up franco-américaine spécialisée dans l’IA et l’apprentissage fédéré appliqué à la recherche médicale, vient de publier dans Nature Medicine le résultat de ses recherches menées en collaboration avec 4 grands hôpitaux français spécialisés en oncologie ont permis de démontrer pour la première fois que l’apprentissage fédéré peut être utilisé pour entraîner des modèles de deep learning. Grâce aux données conservées dans ces quatre grands hôpitaux français, Owkin a construit des modèles d’IA capables de générer une

    prédiction de la réponse future des patientes atteintes d’un cancer du sein triple négatif

    (THBC) à une chimiothérapie néoadjuvante.

     réparation de l’uretère effectuée par un robot. Une patiente de 68 ans a bénéficié de cette intervention innovante qui lui a permis de conserver son rein et de retrouver une vie normale.

      • Si les médecins ont de plus en plus recours à l’informatique pour écrire leurs ordonnances, ils ne le font pas tous et, dans ce cas, leur écriture est vraiment indéchiffrable pour le patient, ce qui peut notamment lui poser des problèmes pour vérifier la posologie des médicaments.

     Google  a  annoncé récemment un modèle d’IA et d’apprentissage automatique de pointe capable d’identifier et même de mettre en évidence les médicaments dans les ordonnances manuscrites. « Cela agira comme une technologie d’assistance pour numériser des documents médicaux manuscrits en augmentant les humains dans la boucle tels que les pharmaciens »

    Débat Big Bang Santé 2023 : l'Intelligence artificielle va-t-elle remplacer votre médecin ?

    https://video.lefigaro.fr/figaro/video/debat-big-bang-sante-2023-lintelligence-artificielle-va-t-elle-remplacer-votre-medecin/