"Lutte contre les dérives sectaires en matière de santé"
Voilà un petit article de loi qui comporte de grands dangers.
Dans le cadre de la lutte contre les dérives sectaires, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a déposé devant le Sénat un projet de loi le 15 novembre 2023 dont l’article 4 prévoyait de punir d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende « la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé des personnes visées alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elles, compte tenu de la pathologie dont elles sont atteintes, des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique ».
retiré par le sénat... pour le moment
Le Conseil d’État, dans son avis en date du 9 novembre 2023, avait bien rappelé l’importance de « la liberté des débats scientifiques et [du] rôle des lanceurs d’alerte » et estimé que cette disposition pouvait porter atteinte « à la liberté d’expression ».
La commission des lois du Sénat a, le 13 décembre 2023, retiré cet article du projet afin précisément de préserver les libertés publiques. Cependant, il est à craindre que les députés de l’Assemblée nationale de la majorité présidentielle le réintroduisent avant l’adoption définitive de cette loi dans les prochaines semaines.

L’article 4 s’appliquerait à tout individu et notamment aux médecins. Il constituerait une atteinte manifeste à la liberté de prescription des médecins. Le médecin est le seul juge de la pertinence des traitements qu’il propose à son patient à l’issue de la consultation.
S’il estime que les recommandations émises par des groupes d’experts ne sont pas adaptées au problème précis de son patient, le législateur n’a pas à s’en mêler en impliquant le pouvoir judiciaire. Cette loi risque d’encourager l’acharnement thérapeutique.
En effet, les médecins seront, par de telles « incitations » législatives, poussés à appliquer des protocoles inadaptés à leur patient sous peine de poursuites judiciaires. Ils se retrouveront en conflit entre leur intérêt personnel qui est d’éviter un procès et l’intérêt du patient qui est d’être bien soigné.
Qui DéfiniT l'état des connaissances ?
Tout le problème réside dans la définition de « l’état des connaissances médicales ».
La période 2020-2023 a montré que le législateur et le gouvernement français considèrent que ce sont les instances de réglementation telles que la Haute autorité de santé qui ont autorité pour définir ces dites « connaissances médicales ».
Cependant, il est notoire que des experts ayant des conflits d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique interviennent dans les instances de réglementation qui rédigent les recommandations de bonne pratique clinique.
Par exemple, la HAS a produit en 2018, un rapport sur les troubles lipidiques qui a dû être retiré pour cause de liens d’intérêt de 6 experts sur 9. Le conseil d’État avait abrogé en 2011 le rapport émis par la HAS sur les traitements médicamenteux du diabète de type 2. Le législateur demanderait donc aux médecins de s’en remettre, sans faire intervenir leur savoir clinique, à des experts susceptibles de ne pas être fiables. Autrement dit, le médecin ne serait alors pas considéré comme une source légitime de ses propres « connaissances médicales ».

Lui refuser de faire valoir son expérience est une insulte à sa profession et à son autonomie.
Nous nous interrogeons sur les modalités de mise en œuvre de cette disposition. Nous notons que l’article 223-1-2 s’applique en premier lieu si « cet abandon ou cette abstention […] est […] manifestement susceptible d’entraîner […] des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique. »
Le juge devrait donc constater deux éléments : l’abstention thérapeutique et l’absence de dégradation de l’état de santé du patient. Autrement dit, le projet du gouvernement est préventif et il n’est pas nécessaire que le patient ait des problèmes de santé pour que le médecin encoure des sanctions.
une atteinte au secret médical
Appliquer une telle disposition impliquerait une levée sans précédent du secret médical qui concernerait les personnes malades comme les personnes en bonne santé.
Appliquer cette loi impliquerait également, répétons-le, l’absence de considération de l’expérience de chaque médecin qui ne pourra pas poser, en son âme et conscience, de contre-indication à « un traitement médical thérapeutique ou prophylactique ». Rappelons-nous ce qui avait été fait avec l’ARNm du Sars-CoV-2 : les contre-indications à ce produit expérimental étaient l’objet d’une liste limitative décidée par le législateur.
Ce texte s’il devait être adopté constituerait une étape supplémentaire dans le contrôle de la pratique médicale : après la « carotte » de la Rémunération sur objectifs de santé publique, nous aurions qui plus est le « bâton » avec l’amende et la peine d’emprisonnement. Il serait temps que les médecins se réveillent pour refuser un tel mépris !