Loi « aide à mourir » : sait-on de quoi on parle ?

évolution pour les uns, révolution pour les autres. Médecins, politiques, patients …s’expriment. Mais qui sait vraiment de quoi on parle ?

par le collectif Alertes Médecins

Senat


ce que propose la loi "aide à mourir"

1 définition de l'aide à mourir

      L'aide à mourir consiste à autoriser une personne qui demande un produit létal, à se l’administrer elle-même ou, si elle ne le peut pas physiquement, à se le faire administrer par un médecin ou un infirmier. La personne est accompagnée, même si elle s’administre seule le produit.

2 conditions exigées (cumulatives)

  • Être majeur (18 ans ou plus). 
  • Être de nationalité française ou résider de manière stable et régulière en France. 
  • Être atteint d’une maladie grave et incurable, engageant le pronostic vital à court ou moyen terme (ou être en phase avancée ou terminale selon les versions amendées). 
  • Présenter une souffrance physique ou psychologique réfractaire aux traitements (ou insupportable) liée à cette affection. 
  • Être capable de manifester sa volonté de façon libre et éclairée. 

3 procédures/garanties

     Le malade fait une demande expresse auprès d’un médecin. 

  • Ce médecin doit informer la personne des traitements possibles, de l’évolution de sa maladie, des dispositifs d’accompagnement. 
  • Il y a un délai minimal de réflexion entre la demande et la mise en œuvre de l’aide. (48h) et un délai de réponse maximal de 15 jours pour le médecin.
  • Le droit à refuser : les soignants peuvent se déporter. 

4 soins d'accompagnement et mesures auxiliaires

  • Renforcement des soins palliatifs : meilleure couverture géographique, soins à domicile, unités spécialisées, soutien pour les proches. 
  • Création de « maisons d’accompagnement » pour les personnes gravement malades, etc. 

5 portée legislative

    • Le texte instaure un droit à l’aide à mourir, pas seulement une possibilité. 
    • Il prévoit aussi des sanctions en cas d’entrave : empêcher ou tenter d’empêcher légalement cette aide peut devenir un délit.


Conseil de l'ordre contre, médecins pour.

Le Conseil de l’Ordre des Médecins1 a exprimé son opposition au projet de loi. Pourtant, un sondage Ifop3, réalisé pour l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité2 (ADMD) donne une autre tendance.

admd


73% des médecins seraient prêts à accompagner un patient qui demande à pouvoir bénéficier d’une aide active à mourir sans pour autant jouer un rôle actif. 


Mais seuls 58% accepteraient de participer activement. 


68% des médecins seraient favorables à l’euthanasie et 60% pour le suicide assisté.

oui mais quels médecins? Et pour quoi?

      L’enquête de l’IFOP a été menée auprès d’un échantillon de 400 médecins, représentatif des généralistes et spécialistes exerçant à l’hôpital et en ville. 


Cependant peu d’entre eux sont confrontés aux soins palliatifs et à la fin de vie, même en milieu hospitalier. Ceux qui le sont expriment plus de réticence. 

Emmanuel Hirsch


Emmanuel Hirsch4, Pr d’éthique médicale et tous les médecins familiers des soins palliatifs, nous disent la même chose : les personnes en fin de vie et en grande souffrance ne demandent qu’exceptionnellement à mourir. Les 3% qui le demandent à l’entrée des soins palliatifs, une fois leur souffrance soulagée, ne sont plus que 0,3%.


On légifère donc pour l’exception : 0,3% de la population. 


L’arsenal législatif français existant est en fait suffisant pour accompagner la fin de vie sans recourir à une mort administrée.

le problème des définitions

La définition même de «  l’aide à mourir  », pose problème. Elle efface la distinction observée dans plusieurs pays entre suicide assisté et euthanasie. Le suicide assisté étant pratiqué en Suisse, Autriche, Australie, Colombie, Nouvelle Zélande et l'euthanasie aux  Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Portugal, Espagne.

un " enfumage sémantique "

La notion « d’aide » est perçue comme positive. Bruno Dallaporta, spécialiste en ethique médicale, parle ici d’un «  enfumage sémantique  », une façon d’occulter le fait qu'on donne la mort. 

80% des Français disent être favorables à l’aide à mourir, mais pour eux «  aide à mourir  » ne veut pas dire euthanasie ou suicide assisté. Derrière cette euphémisation, le législateur masque une réalité extrêmement clivante. Au Quebec, lorsque l’on va procéder à l’acte létal, on pousse même l'euphémisation jusqu'à parler de « Faire le soin ». 


Ce maquillage sémantique a eu pour effet d’abuser des députés.

Jean-Marie-Gomas

Le Dr Jean-Marie Gomas6  est co-auteur de quasiment tous les textes officiels sur ce sujet de 1990 à 2005. Lors de son audition par la commission parlementaire préparant la loi Falorni, il a recueilli ce terrible aveu d’un député après le scrutin :

" Si j’avais su que c’était l’euthanasie , je n’aurais jamais voté cette loi ! "
Un député

une loi bien encadrée ?

La ministre de la Santé , Mme Vautrin affirmait que la loi était parfaitement encadrée. On peut néanmoins en douter. 


En effet, on qualifie d’éligibles, des personnes atteintes d’«  affection grave , incurable avec pronostic vital engagé  en phase avancée  »… Or des centaines de personnes répondent à ces critères alors qu’elles ne sont pas en fin de vie : les cancéreux et les personnes avec des maladies chroniques. 

Jean-Louis Touraine


D'ailleurs, Jean-Louis Touraine5, fervent défenseur du projet, dit clairement qu'il s'agit d'un "pied dans la porte" et que la loi sera amenée à évoluer:

«   les mineurs, les malades psychiatriques et d’Alzheimer, exclus dans une première loi, seront ensuite ajoutés dans une logique de l’égalité des droits  »
- Jean-Louis Touraine

En Belgique, pays toujours en avance sur nous, les personnes atteintes de DMLA sont déjà éligible à l’euthanasie.


Le Dr Philippe Juvin , anesthesiste réanimateur, insiste sur le fait que les patients désirant mettre fin à leurs jours sont souvent ceux qui viennent de découvrir leur maladie ou sont en grande souffrance. Dès qu’il y a prise en charge et soulagement cette demande disparaît le plus souvent. 


Ainsi, limiter le temps de réflexion à 48h n’est pas raisonnablement suffisant. 


Enfin la loi précise qu’il faut «  Être capable de manifester sa volonté de façon libre et éclairée.  »  Mais est-on libre quand on est déprimé ? 1000 psys signataires d’un appel contre loi 7 soulèvent cette question.

appel des psy

des amendements garde-fous rejetés


Carole Boulleuc

       Carole Boulleuc8, professeure en médecine palliative à l’institut Curie, s’est alarmée de voir un certain nombre d’amendements rejetés :

  • Interdire d'appliquer l’euthanasie et le suicide assisté aux personnes atteintes de déficience intellectuelles: REJETÉ
  • interdire d'appliquer l’euthanasie et le suicide assisté aux personnes en état de faiblesse psychologique susceptible d’altérer leur jugement : REJETÉ
  • Possibilité de saisir un psychiatre en cas de doute  sur le caractère libre et éclairé de la demande  du patient : REJETÉ

Enfin elle trouve choquant qu'une clause de conscience puisse être réservée aux seuls médecins et refusée aux infirmières, aides soignantes et auxiliaires médicaux. 

Eric Mercier


L'infirmier Eric Mercier9 se scandalise quant à lui, d'être tenu, par l'article 9, d'écarter des parents éplorés qui s'opposeraient à un suicide. Il refuse de devenir un bourreau. 


En revanche, un amendement portant sur un délit d’entrave, calqué sur celui concernant l’IVG, a été adopté. Les peines prévues ont même été doublées par les députés : jusqu'à deux ans de prison et 30 000 euros d'amende.


Le Dr Léonetti, auteur de la loi jusqu’ici en vigueur, qualifie : « la loi Falorni, la loi la plus permissive  »

une loi de biens-portants pour les malades

Cette revendication de mourir dans la dignité, laisse entendre que l’on pourrait mourir dans l’indignité. 


Notre société, promeut l’autonomie en valeur supérieure à la solidarité et aux liens familiaux. Être diminué et dépendant serait dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains une perte de dignité. Au point de préférer mourir plutôt que de vivre avec un lourd handicap.   


Mais c’est une vue de l’esprit de «  bien portant  » disent nombre d'handicapés qui s'insurgent contre le fait d'être éligibles à l’euthanasie. Leurs vies ne valent pas moins que les autres.

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Philippe Pozzo di Borgo, célèbre cas qui a inspiré le film Intouchables, en est l'exemple. Il a souvent parlé de son expérience après l'accident qui l'a rendu tétraplégique:

«    Si j'avais pu demander l'aide à mourir à ce moment là, je l'aurais fait. Et j'aurais manqué les plus belles années de ma vie " 
- Philippe Pozzo di Borgo

une loi qui va peser sur les plus faibles

On parle de liberté de choix. Mais tout le monde a-t-il les moyens de choisir ?

philippe Juvin
«  Si vous êtes grabataire, vous  baignez dans les selles et l’urine,  si vous n’avez pas  les moyens d’avoir du personnel pour s’occuper de vous ou qui ne passe qu’une fois par jour comme dans un EHPAD, ça peut donner des envies de mort. Donc vous demanderez l’euthanasie par défaut de soins de bon niveau.  »
- Philippe Juvin

Philippe Juvin rappelle ici la différence entre liberté formelle et liberté réelle.

Dans un contexte économique difficile, les plus pauvres n’auront même pas la liberté de choisir. On a vu récemment en Belgique, qu’une octogénaire ne pouvant se payer une maison de retraite a opté pour l’euthanasie.

De l'autorisation à l'incitation


Au Canada dès l’annonce de maladie grave, l’aide à mourir est proposée comme option. Et à la question  «   trouvez-vous normal qu’on propose l’euthanasie pour raison de pauvreté ? " 27% des canadiens répondent oui.11


Aux Pays Bas, un projet de loi est à l’étude qui permettrait aux plus de 75 ans de demander l’euthanasie pour motif de vie accomplie.12 Une façon élégante de vous montrer la sortie.


Sachant que les temps d’attente pour les demandes de soin ne cessent de s’allonger : 2 à 9 mois pour une consultation de la douleur, 6 mois pour un suivi psy en IdF… On pourra penser qu’une euthanasie obtenue en moins de 17 jours serait préférable.

des soins palliatifs en souffrance

Toutes les critiques reviennent au même constat : il faudrait renforcer les soins palliatifs . 

A ce jour, une vingtaine de départements français n’a pas d’unité de soins palliatifs. On estime que 400 personnes meurent chaque jour sans avoir accès à ces soins, soit un Français sur deux.  

carte soins palliatifs


          La loi «  soins palliatifs  » détachée de la loi «  aide à mourir  » a certes été votée à l’unanimité: mais sa dotation reste incertaine. Les ouvertures prévues restent insuffisantes.


           Chez nos voisins ces mêmes lois entraînent un recul des soins palliatifs. En Autriche, après l’adoption de la loi sur le suicide assisté, les subsides promis ne sont jamais arrivés. Depuis la loi de 2002, En Belgique, où l’on dénonce les mêmes carences,  les euthanasies ont  augmenté de 750%.


Plutôt que soulager la douleur il est plus simple et moins coûteux de supprimer le souffrant, en conclut le médecin réanimateur Louis Fouché. On opte pour l’aide à mourir plutôt que l'aide à vivre.

un enjeu économique considérable

C’est bien connu : les derniers mois de la vie sont ceux qui coûtent le plus cher. Selon l'IGAS la dernière année reviendrait à 26000 euros par personne. L'économie potentielle est considérable. 13

« L’euthanasie permettrait d’économiser 1,4 milliard d’euros par an »

Pascale Favre

Les mutuelles intéressées


      Economie pour l’Etat mais aussi pour les mutuelles qui, avec Thierry Bodet, président du Conseil Economique et Social, plaident pour la loi.

Ceci peut peut expliquer un amendement qui a provoqué l’indignation de plusieurs députés: «  Est réputée décédée de mort naturelle la personne dont la mort résulte d’une aide à mourir  » ( n°AS895)


Ainsi, les assurances vie, excluant d’ordinaire le suicide de leurs clauses, pourraient ne pas priver les ayants droits. Rejeté pour l'instant, cet article sera, selon le Dr Gomas, certainement réintroduit pour lever les réticences vis à vis de l’acte. Dans la même optique, en Angleterre, un débat est en cours qui vise à modifier une loi privant d’héritage une personne ayant aidé un proche à mourir. 



Le coût des soins palliatifs est très élevé, le personnel difficile à recruter. 


     L'Inspectrice générale des affaires sociales Hélène Strohl fait cette inquiétante prédiction : « On verra apparaître des  services de soins palliatifs low cost, où  la sédation profonde serait proposée d’entrée, les directives anticipées exigées  ; un cadre plus accueillant qu'à l’hôpital mais le temps y sera compté.  »

enfin...une mort peut-être pas si douce

Valérie Ferrier, journaliste scientifique issue d’une famille de médecins a mené une longue enquête sur le protocole appliqué et son évolution.  

Valérie Ferrier


Ces protocoles de sédation létales ont été mis en place sur incitations financières dans les années 2000. En Amérique du Nord d'abord puis en Angleterre. En 2012, 1/3 des patients anglais décédés  y auraient été soumis sans aucun consentement, provoquant une vive protestation des médecins. Baptisé Liverpool Care Pathway, ce protocole fut interdit en 2013, avant d’être réintroduit sous d’autres noms. 


En 2016, suite à la loi Claes-Leonetti, la France établit son «  Parcours de soins  », comprenant l’arrêt de l’hydratation et la sédation profonde jusqu’au décès. 

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Le midazolam


         Dans ce protocole on retrouve un benzodiazepine bien connu des anesthésistes réanimateurs : le Midazolam.


On sait moins qu'il est utilisé à haute dose aux Etats-Unis pour des exécutions capitales. Il a même été abandonné dans 3 états américains à cause de trop nombreux ratés. 216 autopsies pratiquées sur les exécutés ont fait apparaitre des oedèmes pulmonaires.

Des experts en pharmacologie et en anesthésie ont rappelé que le Midazolam n’est pas un anesthésique général, même à très forte dose. Il peut induire une sédation, mais pas une perte de conscience complète ni d’analgésie. Ils concluaient que ce médicament est inadapté à une exécution sans souffrance.


Cette étude est-elle parvenue jusqu’à la SFAP ? En tout cas, l’organisme indiquait, dans ses recommandations de 2016, le Midazolam à 25mg/24h puis dans celles de 2020,120 mg/24h. Puis aujourd’hui, 240 mg/24h. Les doses ont ainsi été multipliées par 6.

La scopolamine


       Pour les patients en fin de vie, il est courant d’associer la scopolamine afin de réduire les sécrétions bronchiques, d'atténuer le râle et soulager l’entourage. 

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Ce qui pose question est que la scopolamine a été documentée dès 1909 comme non utilisable en médecine à cause d’effets aléatoires : tachycardie, hypertension, blocage de la vessie, déficience rénale. agitation, délire… 

Ses effets délétères étaient si bien connus qu’elle fut utilisée sous le 3e Reich pour éliminer les enfants, dans le Protocole action P4.

le furosemide

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Mais ce n’est pas tout. A la Scopolamine est souvent associé le Furosemide pour soulager la dyspnée liée à l’embarras bronchique de l’agonisant. Or la première assèche les muqueuses tandis que le second est diurétique alors même qu'on cesse l’hydratation. Résultat à court terme : défaillance hémodynamique, rénale et arrêt cardiaque.

une absence d'évaluation du protocole

Comment  peut-on justifier de tels choix  ? Est-on conscient de ces problèmes ou préfère-t-on les ignorer ?


Toujours est-il que dans son protocole d'accompagnement, la France a choisi de supprimer toute surveillance technique (pouls, TA, et saturation) sous prétexte que ces contrôles seraient un «  facteur anxiogène  ». 


Pourtant des médecins australiens ont noté que des patients souffrants d’oedèmes pulmonaire étaient dans l’incapacité de bouger un muscle pour exprimer une détresse.

ignorance ou refus de savoir ?

Valérie Ferrier s’étonne au passage que le conseil scientifique de la SFAP (Société Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs),  ne comporte aucun pharmacien des hôpitaux.  D'autant qu'il est à l’origine de tous les protocoles de sédation et qu'il a donc édicté le protocole adopté par la HAS.

Bandeau-SFAP


Le 23 mai 2025, elle a interpellé la présidente de la SFAP dans une lettre ouverte. Elle y dénonçait l’absence totale d’évaluation clinique et post mortem des protocoles de sédation profonde et continue. 


La réponse fut très laconique mais ne contestait aucun des points avancés.

un arrêt de mort de la recherche ?

La loi Leonetti avait mis fin à des administrations non éthiques et souvent discrétionnaires de cocktail létal. Ou plutôt, elle les a encadrées dans un protocole où les morts dites naturelles sont déjà «  aidées  » sans qu’on veuille bien le reconnaître.


Avec la loi Falorni, Jean Leonetti parle lui-même d’une rupture anthropologique. On va demander cette fois aux médecins d’enfreindre sciemment le serment d’Hippocrate. Ils le feront sans doute avec la conviction d’épargner des souffrances.


Mais qu'en sera-t-il vraiment ? Faute d'évaluation, on ignore quelles souffrances occasionnent ces pratiques qui prétendent soulager.


Enfin, le législateur ne réalise sans doute pas ce que cette loi peut entraîner. 


Dans une société où il devient moins coûteux de supprimer le souffrant que la souffrance, la recherche médicale, celle qui vise à prolonger et améliorer la vie n'aura plus grand intérêt. La recherche de la mort risque bien d'entraîner la mort de la recherche.

13 https://www.fondapol.org/etude/les-non-dits-economiques-et-sociaux-du-debat-sur-la-fin-de-vie/